Pendant le confinement, "trouvez un objectif pour positiver la situation et partagez-le avec les autres ; préparez vous un confinement actif en fonction de vos centres d'intérêts et de ce qui est autorisé...etc" : les conseils du psychiatre Nicolas Franck, auteur de "Covid-19 et détresse psychologique" paru le 28 octobre
Le psychiatre Nicolas Franck, chef de pôle au centre hospitalier Le Vinatier, a publié mercredi dernier le livre : "Covid-19 et détresse psychologique" https://www.odilejacob.fr/catalogue/psychologie/psychiatrie/covid-19-et-detresse-psychologique_9782738153807.php
Il alerte sur la santé mentale des Français déjà mise à mal pendant le premier confinement. Sans oublier de donner quelques conseils pour mieux vivre ces prochains mois.
Son interview dans 20 minutes :
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Dès le début du confinement, je me suis retrouvé déconcerté, comme l’ensemble des Français d’ailleurs ! Et je me suis demandé comment tout le monde allait surmonter cela. Alors j’ai lancé une enquête sur les réseaux sociaux avec Frédéric Haesebaert [également psychiatre] sur les facteurs pouvant aggraver ou protéger la santé mentale de la population générale des conséquences du confinement.
En même temps, j’ai voulu écrire ce livre pour voir comment cela se passe quand les gens sont isolés. Que ça soit des astronautes, des spéléologues, des navigateurs solitaires…
Justement, que nous apprennent ces diverses expériences en termes de résilience ?
L’enfermement a toujours un impact sur la santé mentale des personnes. Mais elles le vivent plus ou moins bien en fonction des conditions. Les astronautes, quand ils structurent leur activité et qu’ils maintiennent des liens sociaux, réussissent mieux à se montrer résilients. Notez qu’il y a une grande différence entre un astronaute et un confiné : c’est choisi et pas imposé. Dans ces expériences de confinement, la préparation compte beaucoup : plus les personnes savent à quoi s’attendre, plus elles sont associées, mieux ça se passe.
Vous montrez que le confinement de mars à mai a largement affecté la santé mentale des Français. De quelle manière ?
Cela s’est traduit par une baisse du bien-être mental global. Qui n’a pas arrêté de diminuer au fil des semaines. Le confinement a été un stress qui a conduit certaines personnes à entrer dans la pathologie, l’anxiété ou la dépression. Chacun a un seuil de vulnérabilité qui lui est propre, qu’il peut franchir quand il est soumis à un stress qui persiste. Sachant qu’il existe trois phases du stress : la sidération, l’adaptation et l’effondrement.
Êtes-vous inquiet pour les services de psychiatrie, qui ont depuis des années prévenu qu’ils manquaient de bras et de moyens, et qui risquent de se retrouver avec une « vague » de nouveaux patients à soigner ?
Evidemment. Il y a davantage de Français qui vont aller mal. C’est indispensable de mettre des moyens supplémentaires et de réorganiser les services, sinon une partie de la population va rester en souffrance, donc se mettre en danger et être moins productive. La réponse face à la pandémie de Covid-19 comporte trois axes principaux : la réanimation qui combat les effets les plus sévères de l’épidémie, l’économie qu’il faut sauver, mais aussi la santé mentale, qu’on a trop tendance à oublier.
Craignez-vous qu’un reconfinement plus ou moins strict, qui pourrait être annoncé ce soir et dont les contours sont encore flous, soit plus difficile encore à supporter ?
Oui, et pour plusieurs raisons. Tout d’abord, certains souffrent encore de séquelles du premier confinement. Les remettre dans les mêmes conditions fait repartir la machine. D’autre part, nous entrons dans la période de moindre luminosité – nous sommes passés à l’heure d’hiver le week-end dernier – propice aux dépressions saisonnières. Enfin, en mars, il y avait une perspective à plus courte échéance : deux semaines d’abord – on y a cru –, puis ça a été allongé, mais seulement à huit semaines. Nous avons cru temporairement que l’épidémie pouvait s’éteindre après le printemps. Là, on est parti sur du moyen ou long terme. Parce qu’on se rend compte que malgré le confinement de deux mois, l’épidémie est toujours aussi puissante qu’au départ. En plus, nous subissons déjà des contraintes fortes : les masques, la distanciation sociale, le télétravail… Ce qui est inquiétant également, c’est qu’en mars, il y avait une adhésion de la population au confinement, du moins au début. Cette fois, on sent que les Français en général, et les jeunes en particulier, l’acceptent moins. La décision n’a pas été travaillée avec la population.
En psychiatrie, on sait qu’il est essentiel de permettre l’appropriation de la maladie et du traitement par le patient. Par exemple avec des groupes de parole, dans lesquels les personnes échangent sur leur maladie avec d’anciens patients, des ateliers où on apprend les enjeux de la maladie, les symptômes à repérer quand ça s’aggrave. Ce qui confère de la maîtrise. Il faudrait adopter cette démarche à la pandémie de Covid-19.
Que faudrait-il modifier par rapport au premier confinement ?
Tout d’abord, garder les écoles ouvertes, et même les universités, au moins en partie. C’est très important car les étudiants, qui sont à une période charnière de leur existence et vivent souvent loin de leur famille, sont ceux qui souffrent le plus du confinement. Si nous sommes tous confinés, il faut absolument maintenir une activité physique, permettre aux gens de marcher, de courir, de faire du vélo. Les gens se contaminent dans les espaces clos, pas en extérieur. Et c’est très important pour la santé physique et mentale de continuer à faire du sport.
L’autre conseil, c’est de garder un rythme régulier en termes de sommeil et d’alimentation. On a vu lors du confinement certaines personnes qui confondaient vie professionnelle et personnelle et ont fait des burn-out, qui ont décalé leur rythme, qui ont pris beaucoup de poids… Enfin, dernier point fondamental, il faut maintenir des contacts sociaux. Ceux qui vivaient seuls ont le plus souffert du confinement. Il faut que ces personnes puissent continuer à voir une personne.
Je pense qu’il faudrait surtout protéger, confiner, les personnes vulnérables, mais pas forcément toute la population. Cela serait plus acceptable et économiquement nettement plus favorable.
Vous écrivez que le stress provoqué par le confinement peut être augmenté par l’absence de date de fin. Est-il important, dans ce cas, de fixer une échéance et de s’y tenir ?
C’est très important psychologiquement de pouvoir se projeter au-delà d’une date précise. Par contre, en morcelant les périodes de restrictions, la population ne sait pas où elle va, ce qui est un facteur de stress majeur.
Si nous sommes à nouveau confinés, que mettre en place, au quotidien, pour mieux supporter psychologiquement cette période ?
Pour reprendre le contrôle, on peut trouver une activité complètement liée au confinement : se mettre à la cuisine, inventer des activités intérieures, introspectives. De mon côté j’ai écrit un livre, pour Bob Sinclar, c’était les concerts en ligne ! C’est bien de trouver un objectif qui permette de positiver la situation et de le partager avec d’autres. C’est comme un plan de retraite : si la personne n’a rien prévu, au bout de quelques semaines ou quelques mois, elle s’ennuie.
On peut se préparer un confinement actif en fonction de ses centres d’intérêt et de ce qui est autorisé. L’attention aux autres, la solidarité peuvent aussi aider à se sentir utile et à rebooster l’estime de soi.
Vous écrivez que « les inconvénients du confinement pourraient être contrebalancés par la maturité qu’il peut favoriser ». C’est-à-dire ?
On peut tirer quelque chose de positif pour soi-même et concernant notre rapport au monde. Par exemple, pour la planète, le confinement a eu un impact positif : on n’a pas besoin d’être tout le temps en avion ou en voiture. Et certains ont appris avec cette période particulière à se poser et à interroger leur course frénétique à la consommation.