Selon un rapport du Lancet : 13,5 millions de vies pourraient être sauvées chaque année si l'on s'attaquait à la maladie mentale (Atlantico,11 octobre 2018)
Atlantico rapporte que les experts médicaux diagnostiquent une crise internationale sans précédent
: Selon un rapport du Lancet, 13,5 millions de
vies pourraient être sauvées chaque année si l'on s'attaquait à la maladie
mentale (article du 11 octobre 2018).
Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V. Il a répondu aux questions du site d'info Atlantico, dont il est un contributeur régulier.
Selon lui :
« L’OMS (Organisation
Mondiale de la Santé) note également que dans des pays comme les Etats
Unis et le Royaume uni, le suicide est une des principales causes de mortalité
et il tue plus que les cancers digestifs, les cancers du sein et la cirrhose. »
« Une
chose est certaine : on parle bien peu des dommages engendrés par les
troubles mentaux, alors qu’ils représentent une des plus grandes sources de
souffrance et de mort. Reconnaissons que, parmi les grandes causes que
soutiennent les medias en faisant appel à la solidarité et à la compassion, les
maladies mentales figurent bien peu. Certes, les choses évoluent et l’autisme a
fait depuis quelques temps une timide apparition. Mais on le présente souvent
sous l’angle flatteur du surdoué inadapté, une version hélas rare de ce défaut
que manifestent certains enfants à s’inscrire dans la réalité. »
« De
même, le trouble bipolaire est depuis quelques temps très à la mode, sans doute
du fait de son côté spectaculaire. Les troubles anxieux et obsessionnels sont
l’objet de mises en scène amusantes plus que de vrais débats. Quant à la
schizophrénie, elle peut inspirer des écrivains (le Roquentin de Sartre, par
exemple) mais elle représente une affection trop étrange et inquiétante pour
susciter l’attention des medias. »
« Ainsi, d’une façon générale,
les troubles psychiatriques tendent à être ignorés par l’ensemble des
« bien portants ». Et cela peut expliquer qu’on ne s’attaque pas à la
maladie mentale en y mettant tous les moyens, comme l’indique le rapport du
Lancet. En fait, la maladie mentale est en permanence l’objet d’un
paradoxe : elle n’existe pas – au regard des maladies physiques – ou bien
elle existe trop – et l’on ne voit alors que des « fous » que l’on
rend responsable (bien injustement) de tout ce qui paraît incompréhensible. Au
total, la psychiatrie existe davantage comme une menace à l’ordre public que
comme une souffrance – un mal : elle est une parente pauvre de la
médecine. »
En France, nous sommes 2 millions à vivre avec un trouble psychique grave.
Selon l'Observatoire du suicide, 8 885 personnes se sont donnés la mort en 2014
(10 000 en incluant ceux pour lesquels il existe une « très forte certitude »,
mais pas de certificat).
Atlantico.
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Défaut de prise en charge ?
Jean-Paul Malet : « Il est possible qu’en effet, on
distribue trop de traitements psychotropes à des patients qui n’ont besoin que
d’un peu d’écoute, de temps et d’attention. Mais, surtout, on sait mal soigner
les malades profonds. Et on laisse se creuser des plaies qui, prises à temps,
auraient pu être plus facilement soignées. »
« Ce
manque d’intérêt de la plupart des médecins pour la psychiatrie, joint au
regard prudent qu’ils jettent sur les psychiatres, est encore aggravé par la
réticence qu’ils pressentent chez leur patient. Beaucoup craignent de fait
qu’orienter un patient chez un psychiatre soit considéré comme insultant
(« Je ne suis pas fou ! ») et conduise le patient à quitter son
médecin. »
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Qualité des services en santé mentale :
Jean-Paul Malet : « La psychiatrie est moins exigeante en moyens
techniques, mais elle coûte cher en moyens humains : il faut des centres
de soins, des équipes qui puissent accompagner longuement certains patients
fragiles. Et il faut savoir donner à ces patients ce qui aujourd’hui compte
plus que tout : du temps. Nous oublions
quelle priorité elle représente, tant en termes de soulagement de la souffrance
qu’en terme de pertes économiques, du fait des répercussions des troubles
mentaux sur l’activité professionnelle. »
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La
recherche en santé mentale :
Jean-Paul Malet : « Il faut favoriser les recherches
interdisciplinaires. La psychiatrie est une médecine à part : c’est une
médecine de l’âme ! Or l’âme est à l’intersection du biologique, du
psychologique et du sociologique. Pour le moment, ce sont les recherches
neurobiologiques qui l’emportent.
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Quels sont
encore les secteurs qui nous échappent ?
Jean-Paul Malet : « Et puisque vous me demandez ce qui nous
échappe, apprenez que la psychiatrie familiarise avec un grand mystère,
mal compris aujourd’hui où l’on veut à tout prix une explication à tout
comportement : le mystère du passage à l’acte. Parmi les déprimés qui ne
se suicident pas – ils sont heureusement les plus nombreux - certains, qui ont
frôlé de très peu le suicide, reviennent sur le moment où ils ont failli faire
le grand saut et s’étonnent : pourquoi la vie l’a-t-elle emporté sur la
mort, à ce moment précis où il ne leur restait qu’un pas à faire ?
L’opacité de l‘instant décisif, -pour le patient troublé comme pour l’homme
« normal » - : voilà qui risque de nous échapper pendant longtemps encore. »
« Ce manque d’intérêt de la plupart des médecins pour la psychiatrie, joint au regard prudent qu’ils jettent sur les psychiatres, est encore aggravé par la réticence qu’ils pressentent chez leur patient. Beaucoup craignent de fait qu’orienter un patient chez un psychiatre soit considéré comme insultant (« Je ne suis pas fou ! ») et conduise le patient à quitter son médecin. »